Parole de Carolo – Anne Marie Faticati – Babel Marchienne – Citoyenne dans l’âme
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S’il fallait décerner le titre de citoyenne d’honneur de Marchienne, c’est sûr qu’Anne Marie Faticati, présidente de Marchienne Babel serait au moins nominée. Pour son engagement social, culturel, humain. Pour l’ensemble de son œuvre.

Le festival MAI’tallurgie, qui, tous les deux printemps, ranime la flamme du Marchienne d’autrefois, c’est elle. Pas elle seule, d’accord. Mais c’est bien elle qui l’a conçu et fait grandir. « C’est une action de grande ampleur, réalisée par des citoyens, pour des citoyens », résume-t-elle.

« Cheville ouvrière, c’est tout à fait ça »

Car tout ce qu’elle entreprend – et le plus souvent, réussit – émane d’un collectif. Plus qu’un fonctionnement, c’est une philosophie. Sa vie depuis plus de 20 ans. Depuis qu’en 2002 elle a ouvert la porte de l’Espace citoyen de la Porte Ouest (ECPO), dont c’était les débuts.

La rencontrer pour une « Parole de Carolo » s’imposait. Même si elle a émis des réserves. Anne Marie Faticati n’aime pas se mettre sur le devant de la scène. Elle est celle que les acteurs, saluant le public après un spectacle appellent à se joindre à eux pour recevoir la part d’applaudissements. Celle qui s’occupe de tout : l’administration, le budget, l’intendance, la gestion humaine.

  • Votre titre, c’est donc bien présidente de Marchienne Babel ?
  • Exact.
  • Dans les faits, la cheville ouvrière, risquons-nous.
  • Oui, c’est tout à fait ça

Rue de l’Abattoir

Ce fut dit au terme de l’entretien qui s’est déroulé dans un endroit  que nombre de Carolos, hormis les Marchiennois et les promeneurs, seraient bien en peine de situer. Imaginez une impressionnante bâtisse,  flanquée de plusieurs dépendances, érigée le long de l’Eau d’Heure, à l’arrière de l’Hôpital Van Gogh, dans un coude de la rue de l’Abattoir.

Le jeu de mot, comme un clin d’œil à la vie renaissante

C’en fut un, jadis. Une tête de bœuf, au faîte d’un des murs rappelle la première affectation. Construit en 1871, abandonné, occupé un siècle plus tard  par les services techniques de la Ville, il abrite désormais quatre associations : Marchienne Babel, Avanti, Coopéco et le collectif des Zabattoirs. Elles ont pour points communs un vif esprit communautaire, la volonté d’émanciper les  personnes par des activités collectives, l’entraide et la créativité.

Un vrai réseau social, dans le sens le plus généreux de l’expression.

Victime collatérale de la fin de l’URSS

Nous n’étions pas au bout de l’insolite. Quand l’histoire personnelle rejoint celle qui prend une majuscule.

Comme trop d’habitants de sa commune, Anne Marie Faticati a été contrainte d’interrompre sa carrière professionnelle. Pas en raison du déclin industriel. Elle est une victime collatérale, si l’on ose dire, de la désintégration de… l’URSS.

Elle travaillait dans une maison d’édition russe, à Bruxelles. Qui servait d’intermédiaire entre les éditeurs d’ouvrages scientifiques ou artistiques publiés en Union soviétique et les clients intéressés en Belgique, principalement le monde académique.

Un relais de ce type n’était plus nécessaire alors que le pays s’initiait à la démocratie – on sait hélas ! ce qu’il advint de la tentative.

Elle trouve à l’Espace citoyen un environnement qui convient à son tempérament. Elle est énergique, entreprenante, naturellement liante. Le CPAS a créé des groupes de travail (économie, culture, énergie, jeunes). Elle apprend à se familiariser avec Internet, participe à la création d’un Collectif citoyens.

Elle côtoie d’autres femmes avec qui elle partage une même envie de « faire quelque chose » pour leur lieu de vie qui se délabre et s’appauvrit alors que Marchienne a été une des communes les plus riches d’Europe grâce à la révolution industrielle.

Elles détestent la résignation autant que l’idée de faire table rase du passé.

De Créa Dames à Créa d’âmes

« Nous voulions réapproprier notre histoire », explique-t-elle. Elle a l’idée d’ouvrir un atelier théâtre. Elle connait déjà certaines ficelles du métier : elle a travaillé dans sa jeunesse pour le théâtre de Toone de  José Géal, le célèbre marionnettiste bruxellois.

Le nom ? Créa Dames.

Elles sont huit dans l’aventure et entreprennent de raconter l’histoire et le vécu de leurs quartiers.  

Le premier thème retenu est l’immigration. Comme elles ont besoin d’acteurs masculins, elles enrôlent des citoyens, qui ont la même perception. Ce qui les amène à modifier l’appellation. « Dames » se transforme en « d’âmes ».

Un choix judicieux pour la profondeur que le terme recèle. L’âme comme une conscience rappelant d’où l’on vient pour nous aider à choisir où aller.

Si le jeu de mot est une constance des réalisations associatives de Marchienne, comme un clin d’œil à la vie renaissante, il n’est jamais gratuit. Illustration par celle qui colore la porte d’entrée de son association : « Elle est pas Babel, la vie ? »

Une animation chorégraphique, illustration d’une activité fédératrice

« Pâtes, rata, etc… »

Anne Marie Faticati nourrit un premier récit par sa propre existence. Née dans la région de Cremone, la petite Anna Maria est arrivée à Marchienne, à l’âge d’un an, rejoignant son papa, mineur au Puits 19. Il disposait d’une maison, rue Tourneur, après avoir vécu dans un baraquement. « Je n’ai pas connu personnellement ces conditions de logement, mais ma sœur, plus âgée, me les a racontées », dit-elle sobrement.

La pièce, titrée « Pâtes, rata, etc… » est écrite par des acteurs qui sont tous néophytes. C’est un vrai spectacle complet, illustré par des chants, des projections, des témoignages.

« Créa d’âmes, précise-t-elle, ce n’était pas qu’une histoire d’amusement et de théâtre. Nous voulions montrer qu’il est possible de se mobiliser pour faire changer les choses. Notre travail a permis de poser un regard nouveau sur le quartier, les gens sont contents qu’on parle d’eux, pour une fois, en positif. »

Un coup de main bienvenu pour la mise en scène

L’association peut aussi compter sur l’aide d’un metteur en scène professionnel, Michel Van Loo, ancien directeur de la Guimbarde, retraité, qui continue à soutenir l’activité théâtrale de Créa d’âmes.

« Nous nous sommes retrouvés par hasard à Charleroi, précise Anne Marie. Nous cherchions un metteur en scène. Le Centre d’expression et de créativité, nous présenta Michel. Surprise, nous nous étions rencontrés à l’époque où je travaillais chez Toone et qu’il dirigeait le théâtre de l’Enfance à Bruxelles. Nos chemins se sont séparés puis recroisés. Et voilà. »

« Aller simple », de la guerre à Lampedusa

Créa d’âmes poursuivra sa route à son rythme, jalonnée d’étapes riches en émotions partagées, toujours bien accueillies, notamment au Bois du Cazier. Citons « La Grande Débrouille » (2008) consacrée aux témoignages d’habitants pendant la guerre.

Le succès (les premiers spectacles sont encore joués de nos jours) n’altère pas la dynamique du collectif. Pour Anne Marie, La culture est le puissant vecteur d’une citoyenneté forgée par une histoire, à la fois commune et si diversifiée.

Celle des immigrés venus s’installer à Marchienne après les Italiens : Espagnols, Marocains, Grecs, Algériens, Ivoiriens et tant d’autres. La commune condense 23 nationalités.

« Pâtes, rata etc » est prolongé par « Aller simple » (2015) qui englobe 80 ans d’Histoire et d’histoires, du lendemain de la Seconde guerre mondiale aux drames des traversées de la Méditerranée dont le naufrage aux portes de Lampedusa et ses 366 morts en 2013 ».

Il est joué à l’Espace citoyen, dans le cadre de la journée dédiée au devoir de mémoire – Créa d’âme propose chaque année un spectacle à cette occasion.

Le feu de la mémoire

Le devoir de mémoire, c’est précisément la raison d’être de MAI’tallurgie, qui embrasa Marchienne, voici déjà 15 ans.

Anne Marie Faticati en est l’instigatrice. Nous sommes en 2007. Avec ses copines de Créa d’âmes, elle visite une exposition à la bibliothèque de Charleroi où elles découvrent des photos de Marchienne illuminée la nuit par les feux du fer en fusion.

« Elles nous sont apparues merveilleuses et ça faisait tellement de bien de la voir belle. On a eu envie de faire revivre notre patrimoine industriel oublié ».

Le spectacle auquel elles songeaient était trop important pour la troupe. D’où l’appel aux soutiens. Le CPAS, Espace Citoyen, des associations ont répondu présent. MAI’tallurgie était né.

La première édition fut grandiose, avec en point d’orgue un spectacle son et lumière, monté face au terril Saint-Théodore servant de gradins, qui a rassemblé 2000 personnes.

Là où il y avait de l’activité, il y avait aussi de la solidarité !

Les organisateurs ont vu grand : un mois de spectacles, des concerts, d’expositions, avec pour thème l’art et le métal exprimés dans toutes les disciplines artistiques.

Des balades, des concerts, des expositions : Marchienne fait vivre son patrimoine, tous les deux printemps.

Les spectacles rappellent la fierté, malgré la rudesse du travail, que le passé industriel suscitait chez ceux qui en étaient les acteurs. S’il n’en reste que des friches que l’on voit et de douloureuses « friches humaines » qu’on ne voit pas assez, ils savent que là où existait l’activité, il y avait aussi leur travail et de la solidarité. Le festival exalte cette vérité.

Assurer la pérennisation

« Sa préparation réunit des personnes qui sans cela ne se côtoieraient sans doute pas. Le projet est fédérateur. Il a aussi pour mission de faciliter l’accès à différentes formes de culture aux citoyens de toutes conditionsIl leur permet de s’exprimer au niveau artistique en créant une peinture, une sculpture. C’est motivant de se rendre compte qu’on a une valeur et que l’on peut réaliser quelque chose que les autres admirent. »

Restait à bien gérer cette généreuse effervescence. Arriva Babel, fondé pour assurer la pérennisation du festival. L’association coordonne l’ensemble de l’organisation et au-delà du Festival, développe le désir des citoyens de s’approprier leur quartier. Elle crée du lien social et interculturel, lutte contre l’individualisme, redonne leur place à la générosité et à la solidarité. 

La présidente insiste sur « la dimension culturelle » dans tous ses aspects. « Nous voulons susciter l’envie de s’instruire, valoriser le potentiel culturel, architectural, créatif et artistique de Marchienne, créer des conditions de dialogue entre la population et les décideurs ».

Une belle ambiance de l’édition 2018, intitulée « Des places et vous »

Le Covid a cassé l’élan

Une noble mission, qui peut connaître des moments plus difficiles. Anne Marie Faticati n’a pas oublié la période Covid.  « Elle a cassé l’élan. Restés chez eux par obligations, beaucoup de gens se sont refermés en se contentant des facilités offertes par Internet. Nous avons constaté une baisse de participation aux ateliers.

Nous sentons aussi de la peur, de la méfiance, voire des tensions de voisinage. Retrouver la vitalité collective des années qui ont précédé ce coup d’arrêt n’est pas simple. Surtout auprès de jeunes désœuvrés, au sein de familles précarisées ».

Le plus dur n’est pas de s’engager, mais de tenir la distance malgré les coups de frein.
« C’est un sacerdoce », lâche-t-elle entre deux constats, plus réaliste que déçue. Elle a choisi, ne se plaint pas. Un souci, tout de même qui la tracasse. Elle a 73 ans. Prendre un peu de recul, c’est légitime, salutaire pour son équilibre personnel. Mais qui va lui succéder ? Qui va reprendre cette fonction de coordinatrice, qui l’identifie si bien, qui la place au cœur de l’action, là où s’entrecroisent tous les fils, du plus solide au plus ténu, de la solidarité ?

La vraie, celle qui brise les apparences et fait lever les têtes. Et pour réussir ça, il faut avoir comme elle « Le goût des autres », pour reprendre le titre d’un film d’Agnès Jaoui cassant les préjugés culturels.

« La Fabrique de Faire »

Se souvenir de bons moments passés est un bon moyen de surmonter le risque de découragement. Tenez, elle se rappelle ce repas collectif organisé lors de l’édition 2012 sur le thème « Mon quartier, j’y vis, j’y reste ». Il a rassemblé 500 personnes, en bénéficiant de la participation active de jeunes Algériens liés à la mosquée, pour une belle mixité culinaire.

Le « faire-ensemble », en somme, la condition sine qua non pour que le « vivre-ensemble » ne soit pas qu’un vœu pieux.

En tout cas, la consistance, on l’aura lors du prochain MAI’tallurgie, dont le thème sera la « Fabrique de faire ».

Une promesse, un engagement !

  1. Outre Babel, il y a sur le site :
  2. Avanti. Centre d’insertion socioprofessionnelle. Il mise sur l’expression artistique et la formation (bois, métalu permaculture, cuisine collective.
  3. Coopéco. Super-marché coopératif et participatif. Il propose une alternative à la grande distribution, en donnant l’accès à bas-prix, à des produits bio, locaux ou issus de l’agriculture raisonnée.
  4. Les Zabattoirs. Association valorisant le quartier impulsé par Avantissimo, propriétaire des lieux. Regroupent les habitants du quartier, des membres et stagiaires d’AVANTI et des associations partenaires pour «embellir le quartier et le site.

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