Monsieur Goffart, la Ville de Paris a décidé d’interdire les trottinettes en libre-service à partir du 1er septembre. Qu’en pensez-vous ?
Les trottinettes en libre-service ont débarqué dans nos espaces publics depuis quelques années et ont soulevé beaucoup d’espoirs en termes de développement de la mobilité douce dans nos espaces urbains souvent congestionnés.
Il s’agissait d’un phénomène nouveau dont les usages méritaient d’être observés et évalués en vue de bien mesurer l’apport de ces nouveaux dispositifs au plan de l’intérêt général.
On a rapidement identifié des nuisances ?
Certainement. À Charleroi, le problème qui saute aux yeux, c’est l’impression de désordre dans l’espace public de trottinettes qui traînent et sont laissées à l’abandon un peu partout. Souvent, elles entravent le cheminement des piétons sur les espaces qui leur sont réservés.
Qui est responsable de cela ?
Les propriétaires de trottinettes. Il y a actuellement trois opérateurs à Charleroi (Dott, Tier et Pony). Ce sont eux qui organisent le modèle actuellement en place. Ils doivent être sanctionnés si leurs véhicules restent stationnés n’importe comment.
Il y a aussi une forme d’anarchie au niveau de la circulation…
Tout à fait. À ce niveau, ce ne sont pas les entreprises qui mettent les trottinettes à disposition qui sont responsables, mais les conducteurs.
Beaucoup de conducteurs se considèrent comme des “piétons augmentés”, alors qu’au regard du Code de la route, ils doivent être considérés comme des cyclistes.
Ils doivent donc emprunter la chaussée, et non les trottoirs.
Je suis intervenu il y a quelques jours au Collège de police pour demander à notre zone de police de renforcer les contrôles à l’égard des usages inappropriés des trottinettes.
Il n’est pas rare de voir plusieurs personnes sur une trottinette, ce qui est tout à fait interdit.
Nous avons dû déplorer récemment un accident à la rue de Marcinelle où un piéton a été renversé et blessé par deux personnes sur une trottinette qui ont pris la fuite.
Précisément, quel est le profil-type des usagers de trottinette en libre-service ?
C’est une question très intéressante. Nous l’avons abordée à l’occasion de la Commission 2 du Conseil communal du 24 août dernier.
La Conseillère en mobilité de la ville nous a indiqué que, après analyse des données récoltées auprès des opérateurs de trottinettes en libre-service, on pouvait clairement considérer que la grande majorité des usagers de trottinettes en libre service étaient des « piétons fainéants ».
C’est un terme un peu fort…
Oui, c’est un terme très fort. J’ai été surpris par l’utilisation de cette expression, mais elle a le mérite d’être claire.
En gros, il s’agit de piétons qui auraient de toute façon été à pied d’un point A à un point B. Mais puisque l’opportunité leur est offerte de faire ce parcours en quelques minutes, pour quelques euros, en laissant la trottinette sur place, ils les empruntent tout naturellement.
Le service d’étude de la mobilité nous confirme que, à ce stade, on ne constate aucune diminution du nombre de voitures en ville suite à l’arrivée de trottinettes en libre-service. On ne remarque pas non plus d’augmentation de la fréquentation des transports en commun.
L’effet sur le décongestionnement de l’espace urbain est donc loin d’être évident…
Oui. et un manque de contrôle de l’usage des trottinettes provoque un sentiment d’angoisse parmi les piétons. Et parfois une forme d’énervement de la part de l’horeca.
Que voulez-vous dire ?
Un piéton marche à 3, 4 ou 5 km/h. Et une trottinette roule 10 à 15 km/h, elle peut monter jusqu’à 25 km/h.
Cela peut créer des conflits de mobilité dans les zones d’espaces partagés, avec un stress important pour l’usager le plus faible.
Imaginez un parent avec une poussette ou un enfant en bas âge qui lui tient à la main. Pensez aux personnes âgées, ou moins valides, qui ont besoin d’une canne. C’est assez angoissant de se voir frôlé par une trottinette, à vive allure.
Et concernant l’horeca ?
L’horeca a beaucoup souffert à Charleroi au cours des dernières années. Les restrictions liées au Covid, l’impact et la durée des travaux à la ville basse, puis à la ville haute…
Ils retrouvent aujourd’hui la possibilité d’accueillir des clients en terrasse dans un cadre urbain entièrement rénové. C’est très chouette et c’est un juste retour des choses, après des années de patience.
Mais si leur clientèle doit subir le passage de trottinettes à vive allure à proximité des tables, elle ne reviendra plus…
Ce n’est pas bon pour les commerçants. Ce n’est pas bon pour Charleroi.
Quelles sont les solutions à ce sujet ?
Il y a deux choses à faire.
D’une part, renforcer les contrôles pour sanctionner les trottinettes qui roulent en infraction au Code de la route. Une trottinette qui roule sur un trottoir, par exemple.
D’autre part, revoir les zones qui sont aujourd’hui qualifiées d’espaces partagés (accessibles indifféremment aux piétons et aux deux-roues) et en faire des zones exclusivement réservées aux piétons.
À titre d’exemple, la nouvelle place Vauban peut accueillir les trottinettes en l’état actuel de la réglementation. Je pense qu’il faut changer ça et en faire une zone entièrement piétonne. Si vous y venez avec une trottinette ou un vélo, vous êtes alors priés de marcher à côté.
Les Pays-Bas, qui ont des décennies d’expérience avec les deux roues, réservent les espaces les plus fréquentés de leurs centre-ville exclusivement aux piétons. Les cyclistes, infiniment plus nombreux que chez nous, sont invités à descendre de leur monture s’ils souhaitent emprunter ces voiries. À défaut, il leur est toujours loisible de faire un détour…
Autre chose en termes de sécurité routière ?
Oui. Je suis entièrement d’accord avec l’institut Vias qui a récemment publié une étude au sujet du port du casque par les usagers de trottinettes.
Cette étude montre qu’entre 40 et 50 pour cent des blessures contractées à la suite d’une chute avec une trottinette électrique concernent la tête.
Selon les traumatologues, de nombreuses séquelles qui se produisent après une chute (maux de tête chroniques, crises d’épilepsie) pourraient être atténuées si les usagers portaient un casque.
L’an dernier, plus de 2100 personnes ont été blessées dans un accident impliquant une trottinette. Et quatre ont été tuées selon les chiffres de Vias.
Que faudrait-il faire alors ?
Imposer le casque pour les usagers de trottinettes, y compris pour les trottinettes partagées. C’est déjà le cas en Israël, par exemple.
Vias considère qu’il faut également imposer le port d’un gilet fluo pendant la nuit car le phare arrière des trottinettes est trop peu visible.
On comprend bien les difficultés que représente la gestion des trottinettes en libre-service dans les espaces publics. Mais je suppose qu’elles payent une redevance, au moins, pour bénéficier de la mise à disposition de ces espaces publics par la collectivité ?
Même pas ! Et c’est un point qui me pose véritablement problème.
Tous les occupants de l’espace public payent une redevance. Redevance de stationnement pour les automobilistes. Redevance terrasse pour l’horeca. Redevance pour les panneaux publicitaires. Etc.
Par contre, à ce jour, les trois opérateurs qui occupent l’espace public avec des centaines de trottinettes à Charleroi ne payent aucune redevance.
Cela me pose un problème de principe. En particulier quand je vois des trottinettes occuper certains trottoirs de manière complètement anarchique, debout ou couchées, en travers…
Par ailleurs, la Ville de Charleroi est contrainte de supporter certains frais suite à l’arrivée de ces opérateurs. En termes de marquages au sol pour définir des zones de stationnement précis, par exemple.
Charleroi est une ville qui a déjà énormément de problèmes à combattre ce sentiment de laisser-aller (mobilier urbain, dépôts clandestins, enseignes obsolètes, etc.). Si on y ajoute de nouvelles nuisances sans même bénéficier d’une contrepartie financière de la part des entreprises qui, rappelons-le, font des bénéfices sur cette opération, je pense effectivement que ça pose question.
Quelle est donc la solution ? Préconisez-vous une interdiction, comme à Paris ?
Pas nécessairement. Je pense qu’une évaluation en profondeur du modèle existant doit être réalisée.
Je pense qu’il faut prendre contact avec les opérateurs, leur imposer de payer une redevance, et les contraindre à remettre de l’ordre dans leur modèle.
Une fois ces étapes réalisées, on pourra prendre une décision à ce sujet.
La Ville de Paris a pris cette décision au terme d’une consultation populaire. Pourquoi ne pas demander l’avis des Carolos ?
Je pense que c’est une idée intéressante, qui pourrait encore se matérialiser avant la fin de la mandature.
À ce stade, la majorité a convenu d’organiser un Collège spécial sur le sujet des trottinettes en libre-service. J’espère qu’il pourra se tenir rapidement.