Te souviens-tu du moment où tu as décidé de t’engager en politique ?
Oui. Cela s’est passé pendant l’année 2023. Coordinatrice de l’Union Générale des Infirmiers de Belgique, une association qui a pour mission de promouvoir la qualité des soins infirmiers, j’avais des contacts de travail avec des responsables politiques. Les élections approchant, j’ai réfléchi à l’idée de ne pas me contenter de discuter avec eux, mais d’être là où les choses se décident. Mais comment faire pour m’impliquer ?
« Un chouette profil »
J’ai posé la question à Alda Greoli lors d’une rencontre. Les circonstances n’ont pas favorisé une discussion mais quelques jours plus tard, Mathieu Périn, responsable des Engagés pour le Hainaut m’a appelé pour me proposer une rencontre.
Je l’ai vu. Il était avec Eric Goffart et Jean-Jacques Cloquet. Avant de répondre à ma question, ils m’ont expliqué comment ça marchait, quelles étaient les valeurs qu’ils défendaient, comment ils préparaient les élections du 9 juin. Comme je me retrouvais dans le projet, nous avons évoqué ce que je pouvais apporter. Ils m’ont dit que j’avais un « chouette profil » (elle rit) en ajoutant : pourquoi ne pas te porter candidate pour les élections régionales ?
J’ai beaucoup appris pendant la campagne
Je ne m’attendais pas du tout à un tel challenge. Candidate, oui, c’est vrai j’y songeais, mais au niveau communal, plus modeste. Même si, habitant Jumet, je sais que ce premier échelon de proximité, c’est Charleroi, qui est la ville la plus peuplée de Wallonie !
Mathieu a été prévenant, il m’a dit : « je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui a regretté d’avoir fait campagne ».
J’ai dit : Ok. Et je dois reconnaître qu’il avait raison. J’ai rencontré des gens extrêmement gentils et accueillants. Ils m’ont permis de découvrir comment une campagne électorale s’organisait. J’ai vécu une expérience super intéressante avec des personnes enthousiastes dont je partageais les valeurs.
J’ai été bien soutenue par l’équipe, notamment par Martine Depré, une infirmière retraitée. Je n’ai pas consacré tout le temps que j’aurais souhaité en raison de mon travail, mais j’ai appris beaucoup. C’est un challenge de pouvoir aller au contact des gens, en étant à l’aise, alors qu’on ne les connaît pas du tout.
Et me voilà candidate pour les communales, à partir d’un hasard, un échange avec Alda Greoli et une idée qui prend vie.
« Mes primaires à Istanbul »
Ton nom, Avcioglu, signale ton origine turque. De quelle région es-tu originaire ?
Je suis née à Istanbul, où j’ai fait mes primaires à l’issue desquelles, ma sœur et moi avons été envoyées en Belgique, chez mes grands-parents maternels pour y apprendre le français. J’avais 11 ans. Mes parents voulaient que j’apprenne la langue afin d’intégrer un lycée français d’Istanbul.
Mes grands-parents turcs sont arrivés en Belgique, il y a plus de 60 ans, attirés par le besoin de main d’œuvre. Mon grand-père n’a pas travaillé dans les mines du Limbourg, comme beaucoup de ses compatriotes, mais dans la région bruxelloise : il a été chauffeur de camion, avant d’ouvrir un garage.
Ma maman a donc grandi en Belgique avant d’aller vivre à Istanbul après son mariage. Elle a la double nationalité. Nous étions à Bruxelles pour un an. Finalement nous sommes restés.
En immersion totale, donc !
Dès notre arrivée ! Mes grands-parents nous ont interdit, à ma sœur et moi, de parler turc, même entre nous !
J’ai pu faire les études que je voulais. En Turquie, on ne fait pas toujours les études que l’on souhaite. Il y a un système d’examen préalable. Cela existe aussi en Belgique, mais pas pour toutes les études. Je voulais avoir cette opportunité de choisir mon futur métier, sans stress. J’ai mené des études d’infirmière à Bruxelles.
J’ai fait mon Erasmus à Istanbul, pour me reconnecter avec mon pays d’origine auprès de mon père.
« Charleroi plus zen que Bruxelles »
Charleroi ?
J’habitais à Koekelberg, que j’aimais beaucoup.
Etais-tu déjà venue à Charleroi avant d’y habiter ?
Oui, quand j’avais 19 ans. J’avais été impressionnée par les bâtiments vides, abandonnés, délabrés. Je me disais que c’était dommage de les laisser dans cet état. J’ai une affection pour les vieilles maisons, les façades qui racontent l’histoire d’une ville. Les rues que je parcourais n’incitaient pas à poser le regard sur quelque chose d’attirant. Je comprenais donc l’a priori. Charleroi n’avait pas et n’a toujours pas une bonne réputation.
En 2019, j’ai vraiment commencé à découvrir Charleroi et les Carolos. J’y habite depuis février 2021. Je me rends compte depuis lors que le dénigrement vient surtout de personnes qui ne voient que le décor, les apparences, qui ne connaissent pas les bons côtés des Carolos parce qu’ils n’y habitent pas.
A mes amis, à mes proches qui vivent dans la région bruxelloise et se demandent comment je peux apprécier ma nouvelle ville, je dis : « venez, vous verrez ». Une des personnes parmi les plus critiques que j’ai fini par convaincre c’est ma sœur. Elle était réticente, maintenant, elle adore faire du shopping ici. Elle comprend mon attachement, la vie est calme. On a de l’espace, c’est tranquille, les gens sont accueillants. Charleroi est un peu zen, en fait.
Zen ? Ce n’est pas le premier terme qui vient à l’esprit…
C’est vrai qu’on dira plutôt qu’ils sont généreux, vite liants. « Zen », c’est ce qui me vient à l’esprit en pensant au quartier de la Madeleine, à Jumet où j’ai trouvé ma maison. Quand j‘ai découvert qu’elle était à vendre, je me suis dit que c’était vraiment l’endroit où j’avais envie d’habiter. Il y a des lieux qui dégagent une énergie positive.
« N’achète pas une maison, achète des voisins »
Pas de regret donc d’avoir quitté Koekelberg ?
Non, même si j’en aimais le côté fleuri et paisible des rues. J’adore marcher, flâner. Je faisais beaucoup de choses à pied, y compris mes courses. Cela manque à Charleroi. On a vite besoin de sa voiture. Mais les arbres, c’est d’abord dans les jardins, pas dans les rues.
Et sur ce point, je suis gâtée. Quand j’ai acheté la maison, j’ignorais que le verger, situé derrière le jardin, faisait partie de la propriété. Je suis devenue une passionnée d’arboriculture…
L’autre fait marquant qui aide à se sentir bien, c’est la gentillesse du voisinage. Un proverbe turc dit : « n’achète pas une maison, achète des voisins » qui souligne l’importance de la proximité. C’est le cas ici, il y a de l’entraide et de la confiance.
Tu es donc infirmière. Quel est ton parcours professionnel ?
J’ai commencé à l’Hôpital César De Paepe, qui fait partie du CHU Saint-Pierre, en médico-psychiatrie. J’ai suivi une spécialisation en travail psychosocial, en santé mentale. Ensuite j’ai été travailleuse médico-sociale à l’ONE, mais la psychiatrie me manquait. Je l’ai retrouvée à Brugmann où j’ai travaillé à l’unité des « mises en observation » dans l’équipe de nuit. C’est durant cette période que j’ai effectué un master en santé publique.
Ensuite j’ai été infirmière en chef dans une maison de soins psychiatriques.
« L’image de la profession a souffert de la période Covid »
Il y a 8 ans, j’en ai 40, j’ai eu l’opportunité de servir mon métier autrement, en décrochant ce poste de coordinatrice de l’Union Générale des Infirmiers de Belgique qui réunit une quarantaine d’associations professionnelles. Les unes sont dites généralistes, les autres plus spécialisées. Elles sont présentes dans les trois régions du pays. Une de nos missions est la représentation et la promotion de la qualité des soins infirmiers.
On a l’impression qu’on est loin aujourd’hui des applaudissements datant de la période Covid ?
Les infirmières et les infirmiers ont été extrêmement présents et loyaux. Le souci, ce fut la durée qui en a essoufflé plus d’un et le fait que la profession n’a pas été revalorisée comme elle aurait dû l’être.
Son image en a souffert.
« La tentation d’un désir de « bien-être »
Si le public a salué la disponibilité, le courage et l’abnégation du personnel médical durant ces années, cette période de crise intense a refroidi les stagiaires qui ont été confrontés à des conditions de travail extrêmes. Elle a diminué le nombre de jeunes attirés par ce type d’études. Et incité des gens en place à chercher un bien-être professionnel ailleurs.
En Belgique on n’a pas un manque d’infirmiers/ères, on a un manque d’infirmiers/ères qui travaillent dans leur secteur parce qu’ils ont choisi d’autres métiers plus en accord avec leur désir de bien-être.
C’est un cercle vicieux. Prenons l’exemple d’un service de 10 infirmiers/ères pour 30 patients. Deux absents pour raisons non prévues (maladie), cela entraine un travail supplémentaire et donc le risque de nouvelles absences tandis que le nombre de patients reste identique. Et l’on peine à recruter.
La période Covid a seulement accentué un phénomène qui existait déjà, à savoir la réticence à accepter un métier exigeant. L’organisation d’un service, c’est généralement sept jours sur sept. 86% du personnel infirmier est féminin. Ce sont souvent des mamans. Comment s’organiser pour commencer à 7 heures quand on n’a pas de compagnon disponible pour les enfants ?
Les infirmiers sont souples et acceptent beaucoup de contraintes mais parfois ce n’est plus combinable avec la vie privée.
La passion des arbres…
Tes centres d’intérêt ?
La lecture mais pour l’instant, je n’ai plus trop de temps. Mon travail implique des horaires assez variables.
Il y a aussi l’arboriculture. Je vous ai parlé de mon verger. Il m’occupe beaucoup, je taille et chaule les arbres. J’en ai 22, des pommiers, des poiriers, des pruniers. J’ai planté un arbre à kakis, j’ai aussi un mûrier noir, très rare en Belgique, fréquent en Turquie.
Un arbre immigré en quelque sorte, qui t’attendait. Un signe, non ?
(Sourire). On pourrait dire ça, oui. J’ai aussi un potager. Ce qui étonne ma famille. J’étais considérée comme une pure citadine qui n’avait pas spécialement la main verte.
« …. Y compris de l’arbre généalogique »
Je me passionne aussi pour la psycho-généalogie.
C’est-à-dire ?
L’étude de l’arbre familial en fonction du vécu des personnes, des prénoms, des métiers qu’elles ont choisis, des traumatismes qu’elles ont connus. Cela montre que des éléments de leur vie nous sont transmis et ont une influence sur nous de manière souvent inconsciente.
C’est ce qui m’a amené à m’intéresser à l’histoire de ma famille.
Mes grands-parents maternels, avant d’émigrer en Belgique, ont d’abord quitté la Macédoine où leur famille était installée depuis plusieurs générations. La Macédoine a fait partie pendant des siècles de l’Empire ottoman, ce qui a amené de nombreux Turcs à s’y établir. Une minorité a continué à y vivre après la naissance de la Yougoslavie au début du 20e siècle, mais après la guerre 40-45, sous Tito, une pression a poussé des familles turques musulmanes à rejoindre le pays de leurs ancêtres.
« Très conservateurs et très tolérants »
Mes grands-parents paternels viennent également de Macédoine. Très conservateurs, ils ont fait plusieurs fois le pèlerinage à La Mecque. Ils étaient néanmoins très tolérants en termes de pratique religieuse et culturelle. Ils ne nous ont jamais imposé leur façon de pratiquer et nous ont toujours laissé le choix.
Je me sens très unie à ma famille, à ceux qui sont restés en Turquie tout comme à ceux qui habitent en Belgique. J’essaye de soutenir mes parents du mieux que je peux, surtout maintenant qu’ils prennent de l’âge et sont confrontés à des soucis de santé.
Tu es candidate aux élections communales. Quelles sont tes ambitions pour Charleroi ?
Mes ambitions sont surtout citoyennes. J’aimerais améliorer l’image de la ville par son embellissement pour qu’elle soit attractive dès qu’on entend son nom.
J’aimerais également mettre mes connaissances au service de la commune dans les dossiers où elles peuvent être utiles comme la santé et le bien-être.
La politique c’est une première pour moi. Je dois découvrir les rouages et le fonctionnement au niveau communal. Je viens donc avec une envie de découverte. Grâce à cette nouvelle expérience, je souhaite rapprocher le processus décisionnel des citoyens.
Je défends bien entendu des valeurs qui me sont chères, comme la transparence, l’honnêteté et l’accessibilité à l’information et aux services.
Un bel engagement !
Merci !
CV de Deniz Avcioglu
Coordinatrice à l’Union Générale des Infirmiers de Belgique
- Contact :
13 Rue Jacques Lion, 6040 Jumet
0477/50 57 62
denizavcioglu_3@hotmail.com
40 ans, en couple
Formation
- 1980 : CESS Université du Travail Charleroi
- 1997 : Gradué sciences sociales du travail – Notre Dame de la Paix à Namur
- 1998 : Gradué en gestion – Ministère de la Communauté Française
Profession
- Infirmière en Chef Maison de Soins Psychiatrique Dr Jacques Lay (site Schweitzer) à Bruxelles
- Infirmière U74 à Brugmann, U4A Chu Saint-Pierre sur le site de César de Paepe
- Travailleuse médico-sociale à l’ONE
Loisirs
- Lecture
- Moment en famille et entre amis
- Mon verger
Qualités
- Autodidacte, optimiste, persévérante, assertive